La mise en place d’institutions représentatives du personnel (IRP) dans les établissements situés en France est d’ordre public, et ce même si le siège social de la société est situé dans un autre État de l’Union européenne. A défaut, le délit d’entrave et encouru. Cet arrêt du 17 octobre 2023 de la chambre criminelle de la Cour de cassation le rappelle dans cette affaire concernant une compagnie aérienne irlandaise ayant un établissement en France.
Dans cette affaire, la compagnie aérienne irlandaise Ryanair avait été condamnée pour travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre et entrave au fonctionnement des IRP et à l’exercice du droit syndical (Cass. crim., 18 sept. 2018, n° 15-80.735).
La société conteste sur plusieurs fondements, notamment, concernant l’entrave, arguant que les salariés employés en France avaient la liberté de se syndiquer conformément au droit syndical irlandais, et que l’éloignement physique de ces salariés par rapport au siège des IRP situé en Irlande ne caractérise pas une impossibilité de bénéficier de manière effective de leur soutien. Mais la Cour de cassation n’est pas d’accord et confirme la condamnation de la compagnie aérienne.
La Cour de cassation s’appuie sur les articles L. 2311-1 et suivants du code du travail relatifs au champ d’application du CSE. Elle rappelle à cet égard « que toute personne juridique ayant son siège à l’étranger, qui, pour exercer son activité, emploie des salariés sur le territoire français, exerce la responsabilité de l’employeur selon la loi française et doit appliquer les lois relatives à la représentation des salariés dans l’entreprise et organisme assimilé ».
Puis la chambre criminelle ajoute « que les lois relatives à la représentation des salariés et à la défense de leurs droits et intérêts sont des lois de police s’imposant à toutes les entreprises et organismes assimilés qui exercent leur activité en France et qui sont dès lors tenus de mettre en place les institutions qu’elles prévoient à tous les niveaux des secteurs de production situés sur le territoire national, ces institutions remplissant l’ensemble des attributions définies par la loi, à la seule exception de celles qui seraient incompatibles avec la présence à l’étranger du siège social (Cass. soc., 3 mars 1988, n° 86-60.507) ».
En effet, précisent les juges, les règles en matière de mise en place et d’organisation des IRP et en matière de droit syndical sont d’ordre public.
Puis, la Cour de cassation examine les éléments constitutifs du délit d’entrave, à savoir l’élément matériel et l’élément moral. Elle constate que la société avait une base au sein d’un aéroport parisien où travaillaient en permanence et de manière stable 127 salariés.
En outre, compte tenu notamment de l’ampleur de l’infrastructure mobilisée (entre 2 et 4 avions, 300 mètres carrés de locaux), le nombre de salariés concernés n’a jamais pu être inférieur à 50, indépendamment de la stratégie mise en œuvre par la société prévenue pour masquer ce seuil. Les conditions pour la mise en place des IRP étaient donc réunies.
Ainsi, l’élément matériel du délit est établi, et l’élément moral se déduit nécessairement du caractère volontaire des agissements constatés, « la société s’étant toujours refusée à appliquer la législation française en la matière et ayant refusé de donner suite aux demandes qu’elle a reçues de la part des syndicats de salariés ». En outre, la Cour rejette l’argument du possible recours aux syndicats et aux IRP irlandais, « faute d’en démontrer la faisabilité ».
A cet égard, les juges rappellent « qu’en matière de représentation des travailleurs, les législations française et européenne posent la règle fondamentale selon laquelle le cadre d’exercice des attributions des représentants du personnel doit être le plus proche de la collectivité des salariés, en particulier pour ce qui concerne la défense de leurs droits ».
Or, ici, le personnel travaillait en France, habitait en France, « il lui était donc impossible de bénéficier de manière effective des institutions représentatives du personnel situées en Irlande, de sorte que les éléments constitutifs du délit d’entrave sont réunis ».
Pour conclure, la chambre criminelle tranche : les salariés d’une société ayant son siège dans un autre État membre de l’Union européenne qui sont employés en permanence en France au sein d’un établissement, disposent du droit d’être représentés au niveau le plus approprié, et constitue un tel niveau l’État dans lequel les salariés sont effectivement employés.
Ainsi, « les délits d’entrave aux institutions représentatives du personnel sont caractérisés tant par l’absence de mise en place de ces institutions que par les agissements ou abstentions délibérés et réitérés de la société tendant à empêcher ses salariés employés en France de disposer de leurs représentants sur le territoire français ».
Éléments moral et matériel sont donc bien réunis.