Entendus mais pas écoutés, c’est le lot quotidien de nombreux élus du personnel. Se faire entendre face à une direction impénétrable demande de l’habileté et des outils. Dans le cadre de ses premières « Discussions engagées », le cabinet Syndex a donc invité des élus et délégués syndicaux à partager leur expérience autour de cas concrets. Pour que leur voix ne tombe plus dans l’oreille d’un sourd.

Selon le cabinet Syndex, 30 % des élus ne renouvellent pas leur mandat à cause d’une direction qui manque de considération à leur égard. Les experts observent également que bon nombre d’échecs et de déconvenues pourraient être évités si la parole des représentants du personnel ne restait pas lettre morte. Du côté des élus de CSE et délégués syndicaux, le manque d’écoute de la direction peut rendre leur mission décourageante. Alors que faire quand le dialogue social n’a mené à rien ? De quels outils se saisir et dans quel ordre ? Un atelier organisé à Paris par Syndex le 30 novembre dernier a donné aux participants trois moyens utilisés par les représentants du personnel pour revenir dans le jeu : réaliser une enquête auprès des salariés, alerter la presse et exercer son droit d’alerte sociale. Dans tous les cas, l’objectif reste le même : renverser l’équilibre des pouvoirs et obtenir gain de cause.

Enquêter auprès des salariés

Christine Virassamy a longtemps été déléguée syndicale centrale chez Stellantis (ex-PSA), à Rennes. Passée depuis peu secrétaire du CSE, elle est venue raconter aux participants de l’atelier comment elle a fait fléchir la direction qui souhaitait imposer quatre jours de télétravail par semaine. « En 2020, la direction veut profiter de l’effet d’aubaine lié au Covid, explique Christine Virassamy. Elle nous propose alors un avenant à l’accord Motivation et bien-être ». Hélas, trois semaine plus tard, les dirigeants communiquent largement leurs intentions sur LinkedIn sans être rentrés dans les détails du projet avec les représentants du personnel.

Déçue par ce dialogue social par réseau interposé, Christine Virassamy rédige un questionnaire d’enquête avec les fédérations CFDT des cadres et de la métallurgie. 10 000 salariés sont ainsi interrogés par mail, sur les sites tertiaires mais aussi dans les usines de production. Avec 30 % de répondants, elle obtient des résultats représentatifs des vœux des salariés. Leur réponse est sans appel : pas plus de trois jours de télétravail par semaine alors que la direction voulait en imposer quatre. Forte de ces éléments, Christine Virassamy ne s’arrête pas là : elle alerte la presse sur les intentions de la direction.

Allô la presse ?

En plein confinement, la déléguée syndicale CFDT organise avec sa fédération une conférence de presse le dimanche matin à 11 heures et explique ainsi son choix : « De nombreux médias préparent le dimanche leurs éditions du lundi, et le lundi, d’autres médias prennent le relais. C’est donc une question de tempo ». Les 1 200 verbatims de l’enquête sont fournis aux journalistes afin qu’ils puissent les étudier. Et cela fonctionne : dès le dimanche après-midi et le lundi matin, les articles sont en ligne et les colonnes imprimées.

Quand on demande à Christine Virassamy comment elle a construit ses relations avec la presse, elle reconnaît son appréhension initiale : « Avant mon mandat de déléguée syndicale, j’étais opératrice sur une chaîne de fabrication. J’ai donc dû apprendre sur le tas. La formation de départ nous enseigne les codes, comment fonctionne un journaliste et ce dont il a besoin. Ensuite, c’est une question de pratique. Il faut surfer sur l’actualité, répondre aux sollicitations, donner de la matière, préparer ses éléments de langage. Ça s’apprend ! ».

Sonner l’alerte sociale

Si les journalistes représentent un levier pour les représentants du personnel désireux de médiatiser leur cause, ils sont eux-mêmes soumis aux tensions du monde du travail. Le cas du quotidien régional Ouest France en offre une illustration. Elu du CSE (sous l’étiquette SNJ, Syndicat national des journalistes) depuis le début des années 2 000, Alain Guyot a consacré plusieurs années à lutter contre la précarisation de sa rédaction. Selon lui, la direction du journal maintient les postes en contrat à durée indéterminée au strict minimum et recrute à tour de bras des vacataires. De 4 % en 2002, leur bataillon forme 12 % des journalistes en 2012 puis 23 % en 2019.

La direction a pourtant été condamnée pour ces pratiques en prud’hommes puis en appel dans les années 90. Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure. Selon Alain Guyot, « dans les années 2010, j’ai constaté une accélération du phénomène : les postes sont de plus en plus déclinés en contrat à durée déterminée (CDD) sur 6 à 12 mois, et aucun salarié ne saisit la justice : ils craignent d’être ‘grillés’ dans toute la presse quotidienne régionale. Le précariat est même intégré par les jeunes journalistes comme un passage obligé, et la fatalité s’installe ».

En 2018, la coupe est pleine. Avec les conseils de Syndex, les élus exercent leur droit d’alerte sociale. En effet, selon l’article L. 2312-71 du code du travail, le CSE peut saisir l’inspection du travail lorsqu’il a connaissance de faits pouvant constituer un recours abusif aux CDD, aux contrats de portage salarial, de travail temporaire, ou s’il constate un accroissement du nombre de CDD et de contrats de mission. Alain Guyot en raconte les conséquences : « Au final, l’inspection a demandé aux ressources humaines de répondre à une pluie de questions relatives aux contrats précaires dans la rédaction, et début 2021, la direction a présenté un plan de résorption de la précarité. 190 journalistes ont été embauchés avec des contrats durables entre 2019 et 2022 ».

On le voit, dans ces deux cas concrets, les représentants du personnel ont fait appel à des personnes extérieures à l’entreprise : la presse chez Stellantis, l’inspection du travail chez Ouest France. Les directions sont souvent peu friandes de voir le linge de la maison exposé au grand public ou dans les ministères… Dans tous les cas, ces moyens légaux permettent de mobiliser les salariés et montrent aux dirigeants les multiples formes du rapport de force.

 

Comment le CSE peut-il surveiller les contrats précaires ?

La consultation sur la politique sociale constitue le moment privilégié pour aborder en CSE la question des emplois précaires dans l’entreprise (article L.2312-26 du code du travail). Elle doit avoir lieu tous les ans, sauf si un accord prévoit une périodicité différente. Pour la préparer, les élus peuvent se référer aux informations de la base de données économiques sociales et environnementales (BDESE), qui comporte notamment des éléments relatifs aux emplois précaires, au nombre de CDD, d’intérimaires, de jours de travail réalisées au cours des 12 derniers mois par des salariés temporaires etc… Elles seront plus détaillées dans les entreprises employant plus de 300 salariés où est imposée une information trimestrielle sur l’évolution de l’emploi. Enfin, le CSE est ponctuellement consulté dans certains cas précis :

  • Embauche en CDD ou en intérim en remplacement du départ définitif d’un salarié en CDI avec suppression de son poste de travail (articles L.1242-2 et L. 1251-6 du code du travail) ;
  • Recours à des CDD de 24 mois pour faire face à une commande exceptionnelle à l’exportation (article L.1242-8-1) ;
  • Embauche en CDD ou en intérim de moins de 3 mois non-renouvelables dans les 6 mois d’un licenciement économique (article L.1242-5 et L.1251-9).

Marie-Aude Grimont

Source – Actuel CSE