Depuis une jurisprudence du 28 juin 2023 (n° 22-10.293), on sait que l’expert-comptable désigné par le CSE dans le cadre de la consultation obligatoire sur la politique sociale ne peut auditionner les salariés qu’avec l’accord exprès de l’employeur (voir notre article du 4 juillet 2023).
Qu’en est-il pour l’expert habilité qu’un CSE peut faire intervenir en cas de risque grave identifié et actuel ou de projet d’aménagement modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (article L. 2315-94 du code du travail) ?
Pour la première fois nous semble-t-il, un tribunal judiciaire répond à cette question.
Au commencement de cette affaire, la décision du CSE de la société Staub Fonderie de se faire assister par un expert habilité en raison d’un risque grave. L’expert, notamment chargé d’analyser les conditions de travail et les facteurs de risques psychosociaux au sein de l’entreprise, prévoit dans sa lettre de mission la réalisation de 35 entretiens individuels pendant le temps de travail : 15 avec des salariés affectés à la production, 10 à la demande des salariés et, enfin, 10 avec des salariés des fonctions « Support ».
En désaccord avec le nombre d’entretiens prévus, et face au refus de l’expert de revoir sa copie, la direction de Staub Fonderie, qui avait suggéré de se limiter à 9 entretiens en présentiel et de diffuser un questionnaire auprès de tous les salariés, porte l’affaire en justice. Il est demandé au tribunal judiciaire d’annuler le point de la lettre de mission portant sur la réalisation de ces 35 entretiens.
Pour l’employeur, par analogie avec ce qui a été décidé par la jurisprudence pour l’expert-comptable du CSE, l’expert habilité « ne peut pas imposer la réalisation d’entretiens individuels sur le temps de travail ». De leur côté, le CSE et son expert font valoir que les prérogatives et les règles d’intervention d’un expert habilité, dont la mission concerne la santé au travail, diffèrent de celles applicables à l’expert-comptable et que le recours à des entretiens permet d’avoir une « analyse dynamique de la situation ».
Tenant compte du fait que la mission de l’expert habilité « concerne la prévention des risques professionnels, et, plus largement, la santé des salariés », le tribunal judiciaire rejette la demande de la direction de Staub Fonderie.
Pour les juges, « contrairement à l’expert-comptable, qui procède essentiellement par voie d’analyses documentaires dans le domaine du chiffre, l’expert habilité est amené à produire lui-même son support de travail, dans le champ notamment de la psychologie du travail, de l’ergonomie et de la sociologie ». Il est donc important qu’il « puisse interroger les salariés sur leurs conditions de travail ». D’ailleurs, l’arrêté du 7 août 2020 relatif aux modalités d’exercice de l’expert habilité prévoit bien que l’expert est « notamment chargé d’organiser les analyses du travail pertinentes et mettre en place les entretiens permettant de recueillir les points de vue des acteurs de l’entreprise » et qu’il « décide du choix et de l’application des méthodes et techniques qu’il conçoit et met en œuvre ».
Conclusion des juges, l’organisation d’entretiens par l’expert habilité n’a donc pas à être soumise à l’autorisation de l’employeur. La direction de Staub Fonderie ne pouvait pas s’opposer à la tenue des 35 entretiens individuels prévus par l’expert du CSE.
► Remarque : attention, même s’il est très intéressant, il ne faut pas donner à ce jugement de tribunal judiciaire plus d’importance et de portée qu’il n’en a. En effet, tant que la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le sujet, on ne peut pas affirmer avec une certitude absolue que l’expert habilité peut organiser des entretiens individuels sans avoir besoin de l’accord de l’employeur.