Si la convention ou l’accord collectif applicable dans l’entreprise ne fixe pas les critères d’ordre des licenciements économiques, c’est l’employeur qui les détermine après avoir consulté le comité social et économique (CSE). Il doit prendre en compte tous les critères fixés par l’article L.1233-5 du code du travail – charges de famille, ancienneté, situation des salariés présentant des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile et qualités professionnelles appréciées par catégorie – mais peut en privilégier certains, ou les pondérer, à condition de s’appuyer sur des éléments objectifs et vérifiables (arrêt du 21 novembre 2006), non discriminatoires (arrêt du 3 mars 1998), et de ne pas neutraliser un critère en lui affectant une valeur identique pour tous les salariés (arrêt du 26 février 2020).
Ces principes ne sont pas toujours compris ou correctement appliqués par les employeurs, ce qui peut justifier leur condamnation à verser des dommages-intérêts aux salariés lésés. Deux décisions de la Cour de cassation en témoignent.
► Pour rappel, le non-respect des règles relatives à l’ordre des licenciements est sanctionné par l’amende prévue pour les contraventions de 4e classe. Il ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse (arrêt du 5 décembre 2006), mais si le salarié prouve avoir subi un préjudice, le juge peut lui accorder des dommages-intérêts dont il évalue souverainement le montant (arrêt du 26 février 2020). Cette somme n’est pas cumulable avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (arrêt du 27 octobre 1998) ni avec l’indemnité prévue en cas d’annulation d’une décision de validation ou d’homologation du PSE (arrêt du 16 février 2022).
L’appréciation des aptitudes professionnelles des salariés, en tant que critère retenu pour fixer l’ordre des licenciements économiques, incombe à l’employeur : son opinion est, en principe, discrétionnaire, car il est seul juge des qualités professionnelles de ses salariés (arrêt du 17 novembre 1966). Le pouvoir de l’employeur en la matière est toutefois soumis au contrôle du juge.
En effet, en cas de litige, il doit être en mesure de produire les éléments objectifs sur lesquels il s’est appuyé pour évaluer les aptitudes du salarié (arrêt du 24 février 1993 ; arrêt du 29 juin 1994). En outre, le juge vérifie que l’appréciation portée par l’employeur sur les qualités professionnelles du salarié ne relève pas d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir (arrêt du 24 septembre 2014).
Ce principe, régulièrement rappelé par la jurisprudence (voir en dernier lieu arrêt du 22 septembre 2021), l’est à nouveau dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 18 janvier 2023.
En l’espèce, pour l’appréciation du critère professionnel, la salariée avait été notée uniquement en fonction de son niveau de diplôme et non sur ses qualités professionnelles. Or cette salariée et sa collègue disposaient d’une expérience équivalente : il était donc impossible de les départager objectivement pour fixer l’ordre des licenciements. La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a donc condamné l’employeur à verser 3 000 euros de dommages-intérêts à la salariée licenciée.
► La Cour de cassation a déjà jugé que le critère tiré de la possession de diplômes ne peut pas être assimilé, à lui seul, à celui des qualités professionnelles (arrêt du 17 mars 1993). L’employeur aurait pu, en l’espèce, justifier sa décision par la production de comptes rendus d’entretiens d’évaluation professionnelle ou, à défaut, des formations suivies par le salarié et de nature à faciliter sa reconversion (cour d’appel de Nîmes, 26 juin 1990 n° 89-1143 ; cour d’appel de Paris, 25 septembre 1991 n° 91-31941), du montant des primes d’assiduité versées au salarié, recalculées de façon à ne pas pénaliser les salariés absents pour maladie ou maternité (décision du Conseil d’Etat, 22 mai 2019) ou de son dossier disciplinaire (arrêt du 19 mai 2010).
Dans la seconde affaire soumise à la Cour de cassation, l’employeur avait pondéré le critère des charges de famille par tranches d’âge, en allouant 2 points par enfant de moins de 6 ans, 1 point par enfant de 7 à 12 ans, aucun point au-delà. Une salariée n’ayant qu’un enfant étudiant à charge n’avait obtenu aucun point à ce titre, alors que ses deux collègues, ayant des enfants de moins de 6 ans, avaient bénéficié de points supplémentaires. Considérant que cette application des critères d’ordre des licenciements était déloyale, elle avait saisi le juge prud’homal d’une demande de dommages et intérêts.
La cour d’appel, dont l’appréciation est souveraine, a jugé que l’employeur ne démontrait pas en quoi cette distinction opérée selon l’âge des enfants était pertinente et objectivement justifiée quant à la charge réelle des enfants eu égard à leur âge. Pour la Cour de cassation, elle a par ce seul motif justifié sa décision de condamner l’employeur à verser à la salariée la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
► L’employeur est libre, au sein d’un des critères légaux, de « décomposer » les points qu’il attribue. Par exemple, au titre de l’ancienneté, il pourrait attribuer 1 point entre 0 et 10 ans d’ancienneté, 2 points entre 10 et 15 ans, etc. Mais il doit justifier ce barème par des raisons objectives. En l’espèce, il n’avait produit aucune pièce de nature à justifier que la charge financière d’un enfant de moins de 6 ans est supérieure à celle d’un collégien ou d’un étudiant.