Dans un arrêt du 6 février, la cour d’appel de Nancy annule un accord de performance collective (ACP) signé en juin 2020 par deux élus d’un CSE de moins de 50 salariés, au motif que l’employeur n’a d’une part pas consulté les salariés et d’autre part qu’il n’avait pas remplacé les salariés licenciés pour avoir refusé la modification de leur contrat de travail.

En juin 2020, une société de l’Est de la France, qui a connu un an auparavant un plan de licenciement qui l’a fait passer sous le seuil des 50 salariés, signe avec les deux élus du CSE un “accord de performance collective mobilité interne”. Cet accord prévoit le déménagement de l’entreprise, qui comptait jusqu’alors deux établissements (dans l’Alsace et la Meuse), sur un site unique. Parmi les salariés concernés par cette mobilité, trois refusent de se voir appliquer cet accord. Ils sont licenciés par l’entreprise.

Tout semble conforme aux dispositions de l’article L. 2254-2 du code du travail, qui prévoit un éventail d’objectifs assez large pour l’APC. En effet, « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi », cet accord permet à une entreprise de déroger aux clauses plus favorables d’un contrat de travail afin :

  • d’aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition;
  • d’aménager la rémunération, dans le respect des salaires minima hiérarchiques ;
  • de déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise ».

L’accord peut concerner ou pas la totalité de ces trois points. En outre, l’APC, contrairement à l’accord de rupture conventionnelle collective (RCC) ou à l’accord d’activité partielle de longue durée (APLD), n’a pas a être validé par l’administration.

Un syndicat saisit la justice

La CFDT de la métallurgie agit néanmoins en justice pour faire annuler cet accord de performance collective (APC). En décembre 2021, le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc rejette cette demande, au motif -notamment- que le code du travail autorise la conclusion d’un accord APC sous les 50 salariés et surtout qu’il ne fixe « aucune obligation d’information des élus ou des salariés sur les raisons, la situation de l’entreprise et les enjeux de la conclusion d’un accord de performance collective ». Il s’agit là d’un point important, plusieurs organisations syndicales ayant dénoncé dès 2020 les pratiques de certains employeurs qui entament avec les élus une négociation sans préciser qu’elle s’inscrit dans le cadre des accords de performance collective, avec comme conséquence un possible licenciement pour les salariés qui en refusent l’application.

L’entreprise avait le droit de conclure un APC…

Le 6 février 2023, la cour d’appel de Nancy décide d’annuler l’accord de performance collective. Les juges relèvent tout d’abord que l’entreprise avait le droit de négocier un tel accord bien qu’elle se situe sous le seuil des 50 salariés. L’arrêt évoque en effet la décision du Conseil constitutionnel ratifiant l’ordonnance sur les APC : « Le Conseil constitutionnel n’a porté aucune appréciation sur la situation spécifique des accords conclus, dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 10 et 50 salariés, par un ou des membres titulaires du CSE, représentant la majorité des suffrages exprimés lors des élections professionnelles, qui ne sont pas soumis à une consultation directe des salariés – comme cela est le cas en l’espèce ».

…mais pas de le faire pour supprimer des emplois

L’accord pouvait aussi prévoir la fermeture d’un site, et « organiser le transfert de la totalité des effectifs affectés à un site sur un autre site de l’entreprise ». En revanche, décide la Cour d’appel, il ne pouvait pas avoir pour objet ou pour effet de supprimer des postes : « Il convient que l’employeur (..) justifie du remplacement par de nouveaux salariés de l’ensemble des salariés licenciés pour n’avoir pas accepté la modification de leur contrat de travail ». Or la tâche des salariés licenciés (Ndlr : y compris celle de la responsable RH) a été répartie dans l’effectif existant et l’employeur n’a pas remplacé intégralement les salariés licenciés, « ce qui entache la régularité de l’accord de performance collective ». 

De fait, dans un questions-réponses en date de juillet 2020, le ministère du travail avait insisté sur le fait que l’accord de performance collective ne pouvait pas se substituer aux dispositions applicables en matière de licenciement collectif pour motif économique.

L’accord n’a pas été approuvé par les salariés

A propos du déroulement de la négociation, très contestée par la CFDT devant les juges, la cour d’appel a une appréciation nuancée. Elle constate que l’accord résulte d’une présentation par l’employeur d’un document rédigé par lui seul et que ce n’est pas en soi un problème, car deux réunions ont eu lieu lors desquelles le texte pouvait être amendé. Sauf que le code du travail prévoit, pour la négociation d’un accord entre la direction et les élus du CSE d’une entreprise dépourvue de délégué syndical, une forme de « concertation avec les salariés » (lire notre encadré). Dans le cas de cet APC, notent les juges, la négociation, qui n’a été précédée d’aucun accord de méthode, n’a pas non plus associé les salariés.

A l’appui de son affirmation, la cour d’appel cite le cas d’un salarié ayant adressé, après avoir reçu la notification de l’accord, des contre-propositions. Ces pistes, poursuivent les juges, « n’ont pas été soumises à l’appréciation des parties à l’accord, les privant de la possibilité de le faire amender dans le sens souhaité par le salarié », ce qui a « ainsi abouti à son licenciement sans que ses suggestions ne soient examinées ».

Nullité de l’accord

Ces irrégularités justifient pour le juge d’appel de prononcer la nullité de l’accord, ce qui ouvre la voie à la demande de dommages et intérêts des salariés devant les prud’hommes. L’entreprise a toutefois deux mois pour se pourvoi en cassation. On suivra avec intérêt, en cas de pourvoi, la décision de la Cour de cassation. Rappelons que ce type d’accord, beaucoup moins encadré et contraignant que les précédentes dispositions similaires (accords de maintien dans l’emploi, accords de préservation ou de développement de l’emploi et accords de mobilité interne), a été introduit en début de quinquennat par Emmanuel Macron dans un évident but de flexibilité (la disposition a d’ailleurs été critiquée par l’Organisation internationale du travail), certaines organisations patronales de branche les utilisant dans un but de remise en cause des statuts conventionnels des salariés (lire notre article).

► A suivre dans une prochaine édition : l’interview de l’avocat ayant obtenu cette décision pour le syndicat CFDT

Conclusion de l’accord et rôle du CSE
Les conditions de validité de l’accord de performance collective (APC), qui peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée, sont identiques à celle de tout accord collectif d’entreprise.
Conclusion de l’accord dans une entreprise sans syndicat

Dans les entreprises sans délégué syndical et conseil d’entreprise, l’article L.2232-29 du code du travail prévoit que la négociation entre l’employeur et les membres de la délégation du personnel du comité social et économique, mandatés ou non, ou les salariés de l’entreprise mandatés se déroule dans le respect des règles suivantes :

  1. Indépendance des négociateurs vis-à-vis de l’employeur ;
  2. Élaboration conjointe du projet d’accord par les négociateurs ;
  3. Concertation avec les salariés ;
  4. Faculté de prendre l’attache des organisations syndicales représentatives de la branche.
Conclusion de l’accord avec un syndicat
Dans les entreprises où est présent un délégué syndical, la négociation en vue de la conclusion d’un tel accord ne peut s’engager qu’avec ce délégué syndical. Il doit alors être signé par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli plus de 50 % de suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles. Lorsque l’accord est signé par des organisations syndicales ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés, il doit être validé par référendum (art. L. 2232-12 du code du travail).
Rôle du CSE
Les projets d’accords collectifs, leur révision ou leur dénonciation n’étant plus soumis à la consultation du CSE, le comité social et économique n’a donc pas à être informé ni consulté sur la conclusion d’un accord APC. Attention cependant : dans la mesure où le projet d’accord implique une réorganisation de l’entreprise, le CSE doit être consulté sur cette réorganisation elle-même, du fait des prérogatives générales du comité (politique de rémunération, projet important modifiant les conditions de travail ou l’organisation du travail…).
Expertise du CSE
Important : le CSE peut désigner un expert afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer la négociation de l’accord de performance collective (art. L. 2315-92 du code du travail). Le type d’experts est le même que pour le projet d’un licenciement économique, autrement dit il s’agit d’un expert-comptable. 80% du coût de l’expertise est supporté par l’employeur et 20% par le comité.
 
Bernard Domergue