Dès lors qu’un salarié protégé licencié soutient que les licenciements économiques auraient été décidés au niveau d’une UES (unité économique et sociale), il appartient au juge judiciaire d’apprécier la nécessité d’un plan de sauvegarde de l’emploi à ce niveau, sans que cela porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs.

En matière de licenciement économique d’un salarié protégé, le partage des domaines de compétence entre le juge judiciaire et l’administration est clair bien que complexe. Et les compétences du juge judiciaire sont réduites à peau de chagrin depuis la reprise du contentieux de la validité du plan de sauvegarde de l’emploi par le juge administratif opéré par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 : ils se réduisent principalement à l’appréciation du respect des critères d’ordre des licenciements et de la priorité de réembauche.
Dans une décision publiée du 17 mars 2021, la Cour de cassation apporte toutefois une solution inédite, donnant compétence au juge judiciaire en cas d’absence de PSE, lorsque le salarié protégé soutient que le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) était nécessaire, la décision de licenciement économique collectif ayant été prise au niveau d’une unité économique et sociale (UES) qui en réunit les conditions. 

Licenciement économique collectif sans PSE

Modification du contrat de travail pour motif économique 

Dans cette affaire, courant 2013, l’entreprise Tresch organisation (15 salariés) propose à un de ses salariés protégés, ainsi qu’à d’autres salariés, la modification de son contrat de travail pour motif économique consistant en une mutation suite au transfert du siège sur le site d’une entreprise du même groupe (Tresch Clerget, plus d’une centaine de salariés). Suite à son refus et celui d’autres salariés, l’employeur engage une procédure de licenciement collectif pour motif économique et réunit les délégués du personnel à deux reprises à ce sujet, le 18 novembre et 4 décembre 2013.

Reconnaissance d’une UES

En outre, par jugement du 21 janvier 2014, le tribunal d’instance reconnaît l’existence d’une UES entre les deux entreprises concernées, ce en l’état de la situation existante au 28 octobre 2013, date de la demande introductive d’instance. 

Contestation devant le juge judiciaire pour absence de PSE

Le salarié protégé, quant à lui, est régulièrement convoqué à un entretien préalable, et son licenciement est autorisé par décision de l’inspecteur du travail en date du 2 avril 2014. Le salarié ne conteste pas son autorisation de licenciement auprès de l’autorité administrative mais il saisit la juridiction judiciaire au motif qu’un PSE aurait dû être mis en place. La cour d’appel se déclare compétente et lui donne raison.
L’employeur conteste au motif qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le juge judiciaire ne peut pas apprécier la régularité de la procédure antérieure à la décision de l’inspection du travail.

Compétence du juge judiciaire pour apprécier l’incidence de la reconnaissance d’une UES sur la validité des licenciements

Contrôles opérés par l’inspecteur du travail 

La Cour de cassation commence par rappeler : 

  • qu’il appartient à l’inspecteur du travail de s’assurer de l’existence, à la date à laquelle il statue sur la demande d’autorisation de licenciement économique collectif, d’une décision de validation ou d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi. A défaut, l’autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée ;
  • en revanche, dans le cadre de l’examen de cette demande, il n’appartient à l’autorité administrative, ni d’apprécier la validité du plan de sauvegarde de l’emploi ni, plusgénéralement, de procéder aux contrôles mentionnés aux articles L. 1233-57-2 et L.1233-57-3 du code du travail (notamment contrôle de la régularité des procédures d’information et de consultation du CSE), qui n’incombent qu’au Direccte saisi de la demande de validation ou d’homologation du plan (voir la décision du Conseil d’Etat du 19 juillet 2017, n° 391849). 

Décision de licencier prise au niveau de l’UES

Puis, la chambre sociale explique qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour (Cass. soc., 16 nov. 2010, n° 09-69.485) que, si les conditions d’effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l’obligation d’établir un PSE s’apprécient au niveau de l’entreprise que dirige l’employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d’une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES.

La Cour en déduit « qu’en l’absence de toute procédure de validation ou d’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi, il appartient à la juridiction judiciaire d’apprécier l’incidence de la reconnaissance d’une UES quant à la validité des licenciements, dès lors qu’il est soutenu devant elle que les licenciements auraient été décidés au niveau de cette UES, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d’un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ». 

Contrôle du juge judiciaire sur la nécessité d’un PSE au niveau de l’UES

En d’autres termes, en l’absence de décision de validation ou d’homologation du PSE, le juge judiciaire est compétent pour vérifier si un PSE aurait été nécessaire au niveau de l’UES, si les licenciements ont été décidés à ce niveau. Le juge judiciaire doit donc contrôler si la décision de licenciement économique collectif relevait bien d’une décision prise au niveau de l’UES, et en cas de réponse positive, si les conditions d’élaboration d’un PSE étaient réunies.
Dans ce cadre, la chambre sociale prend acte de la décision de la cour d’appel qui a retenu que « les licenciements entrepris participaient d’un seul et même projet décidé au niveau de l’UES entre la société Tresch organisation qui ne comptait que quinze salariés et la société Tresch Clerget qui en comprenait plus d’une centaine, de sorte que la société Tresch organisation aurait dû mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi au niveau de l’UES pour les salariés licenciés de Tresch organisation. »
La contestation du salarié ne concernait donc pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement : la juridiction prud’homale était ainsi compétente pour connaître de cette demande.

Source : Actuel-CE